Emylie Lentzner, âgée de 27 ans et interne de psychiatrie à Paris, est engagée depuis une dizaine d'années dans le monde de la santé. Formée également en santé publique, elle a travaillé à la Délégation Ministérielle à la Santé Mentale et à la Psychiatrie autour de la construction des politiques publiques et de l'organisation des soins.

A l'origine de l'association Derrière la Blouse dont elle est présidente, elle a aussi participé à créer de nombreux contenus médiatiques (podcasts, interviews, reportages...) destinés à promouvoir une meilleure information sur les sujets de santé. Depuis 2022, elle a co-fondé La Fabrique des Soignants, un nouveau média dédié aux soignants pour permettre de leur donner la parole mais également redonner du sens et de l'espoir aux acteurs du monde de la santé (patients, soignants, aidants).

Quelle est votre initiative de santé ?

La Fabrique des Soignants est un média intergénérationnel, interdisciplinaire, créé en 2023 et porté par un collectif de jeunes professionnels et artistes engagés dans la santé.

L’objectif est de créer un tiers-lieu, de fédérer une communauté où tous les soignants, patients, étudiants en santé, aidants puissent se retrouver pour partager leurs visions et leurs expériences du monde de la santé.

En constatant les problématiques d’attractivité de nos métiers et la communication souvent très négative sur nos quotidiens, nous avions aussi envie de redonner du sens, de l’espoir en donnant la parole à des soignants inspirants, parfois invisibles dans les médias plus traditionnels.

Nous avons développé des émissions en direct sur la plateforme Twitch, où nous avons invité des professionnels de terrain et des patients pour partager des initiatives inspirantes, échanger sur des histoires de vie, discuter sur la meilleure manière de façonner le système de santé en tant que bien commun.

La dernière émission sur Twitch en direct « La Nuit des Jeunes en Santé » a permis de réunir près d’une dizaine d’étudiants de filières de santé différentes sur le plateau (pédicure-podologie, administration médico-sociale, pharmacien, médecine…) mais également des patients du même âge ainsi que plusieurs centaines d’autres à distance.

L’objectif de l’émission était de pouvoir échanger sur l’orientation, le travail interprofessionnel en santé, la santé des jeunes et l’engagement. A destination des étudiants et lycéens, cette émission a permis d’ouvrir la discussion sur des thématiques larges : « Pourquoi je reste étudiant en santé ? Qu’est-ce que ça veut dire pour moi devenir soignant ? », déconstruire les clichés entre les professions dans des échanges ludiques et informels, raconter l’impact de la rencontre avec la maladie à un âge de pleine construction tant sur le plan personnel que professionnel, échanger sur l’équilibre à trouver entre les études et la vie personnelle ainsi que sur les missions d’un soignant au sein d’une société.

Aujourd’hui nous sommes présents sur tous les réseaux sociaux notamment Instagram et LinkedIn, où nous échangeons avec notre communauté et où nous pouvons diffuser les extraits de nos émissions et produire de nombreux autres contenus en lien avec la santé.

Quels ont été les obstacles rencontrés pour monter le projet ?

La création d’un média demande de s’attaquer à de nombreuses questions auxquelles nous n’avions forcément pas la réponse de prime abord : quid du modèle financier ? Quelle organisation adopter (associative, SA…) ? Quel rythme de production ?

Pour répondre à ces enjeux, nous sommes heureux d’être accompagnés par l’incubateur de médias Hotel71 géré par Arty Farty.

Le passage de la rencontre d’une bande d’amis à une structuration professionnelle a demandé également beaucoup de travail, ce qui n’aurait pas été possible sans la présence du Directeur Général actuel de l’association, Kendrys Legenty.

Enfin, il n’existe pas de modèle financier type pour un média : il s’agit de pouvoir garder une liberté de ton éditorial tout en assurant des partenariats permettant de financer les productions. Afin de pérenniser les activités de La Fabrique des Soignants sans perdre de vue l’objectif du projet, nous avons dû nous montrer innovants !

Quels sont les enjeux actuels de la santé ?

La crise d’attractivité a mis en exergue de nombreuses crises qui impactent le système de santé au quotidien : politiques, économiques, internationales, environnementales… dont les premiers impactés sont ceux qui évoluent à l’intérieur.

Il est donc indispensable de leur donner la parole sur les évolutions à venir pour construire une santé plus collaborative entre tous les acteurs du monde soignant qu’ils soient usagers, professionnels, administratifs, étudiants en santé ou aidants.

L’attractivité des métiers de santé passera aussi par des réorganisations institutionnelles, plus souples et plus adaptées aux modes d’exercice des nouvelles générations avec des perspectives d’évolution entre les métiers, une réelle revalorisation financière au vu des compétences de soin et une véritable complémentarité interprofessionnelle conçue autour de l’usager.

La santé est un bien commun, c’est pourquoi il faut développer l’encapacitation des citoyens, que ce soit sur la compréhension des informations médicales ou la prévention autour des déterminants de santé.

Et dans 10 ans, comment voyez-vous la santé ?

On assiste aujourd’hui à une financiarisation accrue de la santé, l’équilibre entre pérennité à long terme et conservation de notre modèle de protection sociale est indispensable à trouver, sans qu’il soit phagocyté par les questions de rentabilité. Il faut continuer de se battre pour promouvoir une accessibilité et une qualité des soins pour tous les patients.

Face à la pénurie de professionnels de santé qui va continuer de s’accroître dans les dix prochaines années, il apparaît aussi essentiel de continuer à développer des liens entre le sanitaire, le médico-social et la prévention pour agir directement sur les déterminants de santé.

Et pour continuer à trouver de l’espoir dans les évolutions à venir, je crois que nous devons passer par le partage d’expériences, d’initiatives locales et internationales, la restauration de la confiance et du dialogue entre les acteurs de santé et in fine, leur laisser la liberté d’agir.